Grâce à l’IRM, des chercheurs voient un lien entre des inattentions passagères et des microlésions du cerveau d’origine vasculaire.
Avoir un nom sur le bout de la langue ; entrer dans une pièce et ne plus savoir pourquoi ; oublier le nom des gens ; avoir du mal à se décider. Tous ces petits signes inquiètent parfois alors qu’ils sont la plupart du temps sans gravité. Mais comment s’expliquent-ils ?
Une étude canadienne, menée sous la houlette du Dr Ayan Key, à l’Institut de recherche Rotman, à Toronto, et publiée dans la revue Neurobiology of Aging, apporte peut-être la réponse. Avec ses collègues, il a fait passer des IRM cérébrales et des tests cognitifs (exercices pour évaluer les performances du cerveau) à des personnes de plus de 55 ans qui se plaignaient de ce type de troubles.
Des volontaires en bonne santé, si ce n’est qu’ils devaient avoir au moins un facteur de risque cardiovasculaire: hypertension artérielle, diabète de type 2, syndrome d’apnée du sommeil, tabagisme (présent ou passé), antécédents familiaux de maladie cérébrovasculaire, âge supérieur ou égal à 70 ans. Ce petit groupe était composé de 26 femmes et 20 hommes âgés en moyenne de 70 ans. Leurs IRM ont ensuite été comparées à celles d’un groupe contrôle sans facteur de risque cardiovasculaire qui ne se plaignait de rien.
Le Dr Key et ses collègues ont alors eu la surprise de voir que la moitié des individus qui se plaignaient de ces petits troubles présentaient aussi des anomalies à l’IRM. Plus précisément, ce que les neuroradiologues appellent des petits hypersignaux dans la substance blanche, qui constitue l’essentiel de la masse du cerveau.
« Ce n’est pas complètement une surprise de trouver ce type de signaux dans la substance blanche chez des gens âgés », pondère le Pr Charlotte Cordonnier neurologue et chercheur Inserm au CHU de Lille, « on en trouve chez environ 6 % des cinquantenaires ou sexagénaires et chez 20 % des septuagénaires et octogénaires, ajoute-t-elle, c’est le signe d’une atteinte des petits vaisseaux, qu’on appelle la microcirculation, les artères perdent leur souplesse, leur pulsatilité et la matière cérébrale qui les entoure est moins bien nourrie ».
On ne sait pas encore très bien quels sont les mécanismes de ces atteintes, mais elles semblent en tout cas impliquées dans la baisse des performances cognitives du cerveau, voire dans des démences dites vasculaires par contraste avec les démences dégénératives comme la maladie d’Alzheimer (voir encadré). Évidemment si les atteintes vasculaires viennent s’ajouter par ailleurs à une dégénérescence des neurones, les symptômes du déclin cognitif apparaîtront des années plus tôt.
Hétérogénéité des cerveaux
« C’est pourquoi la santé du cerveau est importante, explique le Pr Cordonnier, on protège aussi son cerveau en faisant de la prévention des maladies cardiovasculaires: traitement de l’hypertension artérielle, du diabète, des hypercholestérolémies, lutte contre le tabagisme, l’alcool, la sédentarité ou le surpoids. »
La deuxième surprise des chercheurs canadiens a été de constater, parmi ceux qui se plaignaient de petits troubles, qu’à performances égales aux tests cognitifs, certains avaient peu d’hypersignaux sur leur IRM cérébrale alors que d’autres en avaient beaucoup.
« Cela suggère que la cognition, chez ces adultes âgés ayant une atteinte légère à modérée des petits vaisseaux cérébraux, ne se résume pas aux éléments visibles avec les appareils actuels de neuro-imagerie », écrivent les auteurs. Impossible, donc, de deviner à l’avance les résultats que quelqu’un obtiendra aux tests cognitifs simplement en regardant l’IRM de son cerveau.
Tout se passe comme si, chez certaines personnes, des mécanismes de compensation leur permettaient de fonctionner apparemment normalement. En réalité, l’effort cognitif fourni est plus important et ce « coût cognitif » supplémentaire se fait au prix d’un discret ralentissement. On arrive au même résultat, mais on met un peu plus de temps. « Comme s’il y avait des nids-de-poule sur l’autoroute et que pour aller d’un endroit à un autre il fallait prendre des nationales ou des départementales », explique le Pr Cordonnier.
« Ces individus se plaignent néanmoins, car ils se rendent bien compte que leur pensée ne va plus aussi vite qu’avant », notent le Dr Key et ses collègues. À l’inverse, certains ont du mal à compenser alors qu’ils ont peu de lésions à l’IRM. Il va maintenant falloir comprendre pourquoi.
« L’étude est intéressante, bien que portant sur un petit nombre de personnes, car elle se penche sur l’hétérogénéité des cerveaux face à la démence d’origine vasculaire », remarque le Dr Gaspard d’Assignie (Incepto), radiologue à l’initiative du groupe de travail « intelligence artificielle » de la Société française de radiologie. « C’est typiquement le genre d’étude qui pourrait être faite à beaucoup plus grande échelle avec des logiciels de détection automatique des lésions », conclut-il.
MASCRET, DAMIEN